12.12.06 - 13.03.07
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L'exposition de groupe Drapeaux gris propose une réflexion sur la nature de l'œuvre d'art. Prenant acte de ce que les pratiques d'opposition au système artistique institutionnel, mises en place par les avant-gardes jusqu'aux années 70 ne fonctionnaient plus, car inévitablement récupérées par le système, les artistes d'aujourd'hui proposent de remettre en cause les catégories édifiées par les institutions. Ces œuvres installées dans la grande nef du CAPC jouent avec les codes de lecture, les codes d'information, les effets de séduction et résistent aux interprétations pré-formatées.
Commissaires : Anthony Huberman & Paul Pfeiffer
Quand tu cesses de parler et d’agir, et que tu fermes les yeux, qu’est-ce qui te vient à l’esprit ? Des voix ? Des images ? Des sentiments ? Tel un paysage vu d’avion, ces phénomènes vacillent sur une crête sublime distinguant le fascinant du quelconque. C’est vrai, on pourrait dire cela de toute chose observée d’une certaine distance : étoiles, mer, montagnes, horizon... Et qu’en est-il des phénomènes sociaux ? Pareil. Sur n’importe quel vieux vinyl, ce sont les fillers qui trahissent les labeurs inconséquents et sans objet, les paradigmes de production révolus, le secret des ornements.
Remonte un peu dans le temps, vers un âge où on avait la cinquantaine à 25 ans, où tout capital se mesurait en têtes de bétail. Terreur, discipline, souffrance, sacrifice de sang : voilà bien, on peut l’imaginer, la camisole dont la civilisation était destinée à se libérer, la monnaie du royaume. Pense aux mégalithes, aux dolmens, aux tumulus - toute cette sombre architecture de l’humanité primitive. Peut-être qu’il ne s’agit là en définitive pas d’architecture, à proprement parler, mais d’une incarnation de foi ; c’est-à-dire de magie. La magie est un procédé qui se sert toujours des technologies les plus avancées du moment. À l’Age de la Pierre, c’était le feu, la fourrure, l’os et le sang ; au Moyen Age, le creuset, l’alambic, le cercle de craie. Aujourd’hui, ce sont les images, une trame d’images qui s’épaissit sans cesse, jusqu’à former un cercle magique qu’ont franchi, irréversiblement, les citoyens de notre temps. Tu en as choisi, une époque, pour naître !
Le fait est qu’au fur de son histoire, l’Amérique est devenue plus religieuse, pas moins, malgré l’influence des sciences et de l’Etat. Pourquoi donc ? Peut-être parce que la science, qui a pourtant réponse à tout, demeure incapable de nous dire comment ça se fait qu’il y a quelque chose, là, plutôt que rien du tout. Quant au pouvoir politique, mis à part son devoir premier d’établir la loi, ce n’est –comme la démocratie elle-même, sans doute– qu’un coût à encourir, une inefficience, un obstacle au marché. Le travail et la production, ces spectres du vingtième siècle, n’ont plus rien qui vaille à nous offrir. La question devient alors : comment s’y prendre pour empreindre sa subjectivité dans les codes de la culture ? Mais en réalité la culture n’existe pas, il n’y a rien d’assez stable pour le portrait photo, pas de “recule un peu que je puisse te voir !” Voilà donc pourquoi l’homme a inventé la religion : une technique de photographie. On n’a plus à se souvenir que d’une seule chose, quitte à faire confiance au pouvoir suprême qui gérera le reste à notre place. Ne vas pas surtout pas t’imaginer qu’il s’agirait d’une nostalgie, d’une vogue, d’un retour de manivelle : ce qui se réalise là est tout aussi moderne que le capitalisme global et l’économie de l’information. Une Utopie qui se tient debout, fièrement, mais à part.
L’homme est-il si pervers qu’il s’obstinerait à manger des glands après la découverte du blé ? Comme la plupart des esprits progressistes, je préfère les questions aux solutions. Que ceux qui accusent l’Utopie de futilité, ou pire de responsabilité pour les horreurs du siècle dernier, comprennent bien que nous nous trouvons en pleine saison d’Utopie, où chaque instant qui s’égrène est fait icône. On a aujourd’hui le sentiment bien-pensant d’un outrage plus ou moins généralisé, une vague impression d’avoir essuyé un affront collectif horrible sinon criminel ; il est pourtant clair que c’est le vingtième siècle bohème dans son ensemble qui constitue l’outrage. La bohème prospère sous un capitalisme qui s’aligne avec la nature ; d’où la variante californienne bien connue d’après-guerre. Mais nous évoluons désormais dans une nouvelle nature, une nature faite d’images. Et il n’y a pas de critique possible de la nature : elle est toujours prise telle quelle.
Souviens-toi que la plupart de ton corps s’étale sur le dedans, dans une obscurité complète de la naissance à la mort, enfin disons si tu as un brin de chance. Ce serait une sorte de mort si, à l’avenir, on en venait à perdre cette idée de centre et de cœur ; si les réseaux se dilataient au point de dissoudre toute communauté et tradition. Le dernier jour de l’histoire serait alors étrangement réconfortant : enfin, une fin à tout ça. Un chuchotement tranquille en guise de révérence : “Au revoir, Docteur,” une pulsation, un battement régulier, une image en accéléré du corps déliquescent en voie de renaissance. Si l’enfant à naître pouvait être averti que bientôt on le forcerait à quitter son seul univers, sans doute y résisterait-il furieusement ; la naissance doit être une mort. Mais c’est bien évidemment l’inverse.
Texte de Seth Price
Traduction de l'anglais : Eric Anglès
Commissaires : Anthony Huberman & Paul Pfeiffer
Avec : John Armleder, Lutz Bacher, James Lee Byars, Helen Chadwick, Chen Xiaoyun, Cinema Zero, Tacita Dean, Claire Fontaine, Liam Gillick, Piero Golia, Michael Krebber, Jonathan Monk, Gabriel Orozco, Seth Price, The Atlas Group/Walid Raad, Allen Ruppersberg, Salon de Fleurus, Wilhelm Sasnal, Erik Satie, Karin Schneider, Shirana Shahbazi, Kelley Walker, Apichatpong Weerasethakul, Mario Ybarra Jr.