Les années 70 : l’art en cause
18.10.02 - 19.01.03
Les années 70 : l’art en cause
18.10.02 - 19.01.03
Les années 70 : l’art en cause
18.10.02 - 19.01.03
Les années 70 : l’art en cause, 2002. Capc musée d'art contemporain de Bordeaux.
Les années 70 : l’art en cause, 2002. Capc musée d'art contemporain de Bordeaux.

Avec un recul de près de 30 ans, il est possible d'étudier plus correctement les propositions artistiques qui marquèrent les années soixante-dix et de montrer comment au cours de cette période, de nombreux artistes de toutes nationalités furent à l'origine de remises en question fondamentales. Les questionnements qui ont prévalu à ce moment portaient sur les sujets primordiaux - le corps, la matière, l'espace, la surface, le textuel qui depuis toujours appartiennent à la tradition de l'art. Le paysage artistique dans son entier fut traversé par de nombreuses et pertinentes interrogations. Celles que se posèrent les tenants de l'Arte povera ne sont certes pas superposables à celles débattues par les artistes de Supports Surfaces ou de l'Antiform. Mais certaines préoccupations apparaissent aujourd'hui communes aux uns et aux autres. De même est-il loisible de repérer une base commune à des mouvements aussi différents que le Land Art et le Post-minimalisme.

Du
18.10.02
au
19.01.03

Commissaire : Maurice Fréchuret

Les années 70 : l’art en cause :

L'exposition Les années 70 : l’art en cause veut mettre en évidence les similitudes et les différences de la production artistique de ces années et par une investigation approfondie de tout ce qui les a caractérisées travailler à l'édification de leur histoire. Cette manifestation ambitieuse, qui regroupe près de 300 œuvres provenant de prestigieuses collections, s’inscrit de manière pertinente dans l'histoire même du Capc. En effet elle traite très précisément de l'époque qui a vu naître cet établissement et bon nombre d'artistes représentés dans l'exposition ont eu par le passé ou continuent d'avoir aujourd'hui, un rapport fort avec les espaces du Capc, soit pour y avoir exposé, soit pour avoir vu certaines de leurs œuvres entrer dans ses collections.

La période historique que nous souhaitons présenter et que nous mettons à l'étude fut sans doute parmi les plus fécondes dans le domaine artistique de toute la deuxième moitié du vingtième siècle. L'extraordinaire foisonnement de mouvements qui, dès la fin des années soixante jusqu'au seuil des années quatre-vingt marqua le paysage artistique dans son ensemble, donne l'ampleur de ce que furent alors les interrogations des artistes et la vitalité de leurs questionnements. Les propositions qui apparaissent durant les quelque dix ans que nous choisissons de traiter donneront lieu à des développements qui ne cesseront de marquer la pratique artistique et sur lesquels il convient aujourd’hui de faire le point Le problème de la méthode se pose d'emblée car un tel sujet pâtirait beaucoup s’il était mal traité ou si la manière de l'appréhender se révélait défaillante. La tentation est grande de revenir à l'histoire des groupes qui émergèrent dans cette période. Ils fument si nombreux et si différents les uns des autres qu'en faire l'inventaire pourrait sans doute constituer une approche possible. Mais le travail qui a déjà été fait dans cette perspective, tout nécessaire qu'il soit par ailleurs, nous incite à pratiquer autrement En effet l'analyse monographique des rassemblements qui virent le jour a ceci de gênant qu'elle ne permet guère une analyse globale ou que, lorsque l'historien s'apprête à tenter de porter un regard d'ensemble, c'est la nature peu fiable des regroupements en tant que tels qui fait obstacle à son entreprise. La somme des partis n'ayant jamais renseigné sur le résultat final, nous restons donc méfiants par rapport à une telle mise en séquences de l'histoire. De la même façon, prendre le parti de l'époque en repérant ce qui, en elle, apparaît comme significativement révélateur et en établissant une analyse à partir de ces repérages ne saurait nous retenir totalement Non parce que le fait historique, social, culturel ou même politique ne nous requiert pas mais parce que, le privilégiant comme appui, nous prendrions le risque de faire des œuvres des simples témoins de leur époque. Il s'agit d'un écueil que nous voulons éviter tout en ne négligeant aucune des considérations de ce type susceptibles d'enrichir l'analyse qui sera faite.

 

Reste l'approche au plus près des œuvres, celle qui dans un rapport d'immédiateté à elles, nous permet d'en lire les traits les plus saillants comme les détails les plus infimes. Cette manière de pratiquer, parce qu'elle met en jeu le regard lui-même, se saisit des moyens qui leur ont donné forme(s) et qui nous les rendent accessibles. Notre approche a d'autant plus de chance de se saisir de son objet que notre regard est informé par lui. C'est pourquoi, concernant la période étudiée, nous souhaitons opérer à partir de la réalité même des œuvres, de leurs formes, des matières dont elles sont faites, de leur densité, de leur poids, de leur élasticité de leur rigidité ou... de leur immatérialité. Nous voulons saisir ce qui les constitue et leur donne leur assise ou leur instabilité. Nous voulons aussi bien déterminer leur rapport à l'espace qu'elles investissent ou qu'elles entendent déserter. Nous voulons encore les appréhender dans la richesse polysémique qu'elles affichent ou, au contraire, dans l'extrême économie des moyens qu'elles mettent en chantier. Il est évident qu'une telle proximité aux œuvres et l'abondance des données qu'elles présentent peut amener à l'étourdissement et interdire toute capaciter à en rendre compte. C'est pourquoi, il nous a semblé particulièrement opportun de dresser, à partir de l'observation dynamique des œuvres, une typologie des formes capables de renseigner sur les principaux enjeux artistiques de la période. Notre recherche nous amène au repérage de cinq grandes catégories, susceptibles de rendre compte selon nous de la plus grande partie de la production artistique internationale du moment. Le corps, la matière, la surface, l'espace, le texte nous paraissent en effet aptes à couvrir le champ de la quasi-totalité de ce que les artistes questionnent alors. Ces objets qui, au demeurant, appartiennent au langage traditionnel des artistes, cessent d'être des figures ou des sujets de représentation, pour devenir des outils réels que les artistes mettent en forme ou sur lesquels ils interviennent directement.

Les recherches sur la matière, dans ce que cette dernière a de plus concret et dans ce qu'elle peut offrir de plus avantageux pour la recherche plastique, seront également au cours des travaux de nombreux artistes de cette période. Délaissant les techniques et les matériaux habituellement en vigueur, les artistes vont mettre en avant les qualités des matières de toutes espèces qu'ils utilisent, insistant sur les moyens de leur présentation et leur interaction avec l'espace. Les tenants de l'Antiform ou de l'Arte povera pousseront très loin leurs expérimentations dans ce domaine. Les différents matériaux dont eux et bien d'autres vont s'emparer ont ceci de remarquable qu'ils ne sont pas forcément choisis pour leur beauté mais bien plutôt pour leurs qualités intrinsèques, propres à satisfaire des démonstrations purement formelles ou, au contraire, à engager une relation étroite avec les données du symbolique.

Le corps, la chair qui le compose, les flux qui l'irriguent, les rythmes qui, du début à la fin, lui assurent son évolution seront littéralement pris en charge par les artistes du Body-Art qui vont le mettre au centre même de leur questionnement. Les marquages qu'ils vont pratiquer sur lui, les mises en scène au centre desquelles ils entreprennent de le placer, les rites auxquels ils le soumettent ne sont plus simples compositions mais véritables actions aux résonances liturgiques ou sacrificielles puissantes.

La surface est un autre angle par lequel il est possible d'aborder les années soixante-dix en ce qu'elle est un espace spécifique très largement interrogé par les artistes et dont la réalité matérielle a servi de support aux recherches de toutes sortes. Sa définition qui a tant alimenté la réflexion sur la planéité de l'œuvre au cours des décennies précédentes connaît une radicalisation plus grande encore dans des travaux qui ne cesseront de la remettre en cause dans ses fonctions de représentation habituelle. La surface, par l'exercice de dénotation ou de déconstruction, devient un des enjeux primordiaux du questionnement sur le statut de l'œuvre et, partant, sur celui de l'artiste. Les groupes BMPT et Supports/Surfaces auront donné à ce questionnement pratique et théorique des développements d'une grande pertinence.

L'espace que les artistes choisissent d'investir n'est pas non plus celui sur lequel des générations entières de créateurs se sont penchés. Sa représentation, selon des modes d'appréhension spécifiques, n'est plus le moteur des recherches. Réalité physique appréhendée comme telle, l'espace va être intégré à l'œuvre et directement façonné par l'artiste qui le redessine ou qui opère sur lui des transformations déterminantes. Le Land Art est sûrement le mouvement artistique qui a poussé au plus loin de telles expérimentations, mais d'autres artistes, ici et là, ont travaillé à une redéfinition de l'œuvre dans son rapport à l'espace, au paysage ou à l'architecture.

Le texte, l'écrit, le mot ou le signe constituent la dernière catégorie de ce canevas typologique. Il va, dans cette période exemplairement féconde, devenir un matériau de base des nombreux artistes qui tenteront de faire valoir sa seule littéralité, posant avec une grande acuité la question de l'objet représenté, et au-delà, de la réalité même de l'image artistique. La charge émotionnelle, affective ou symbolique ne sera pas forcément étrangère à la démarche des artistes conceptuels, mais les aspirations profondes de ces derniers aboutiront à ce « pied de la lettre » vers lequel ils choisissent de ramener l'œuvre d'art. Ce recours au textuel est fondamentalement déterminé par la propension affirmée de libérer l'artiste de la pesante obligation du faire, avec pour corrélat, celle de privilégier l'idée originelle que suppose toute œuvre. La lecture que nous proposons de ces années « hors d'elles », prend en considération la plus grande partie de la production artistique d'alors. Quelques exemples plus isolés devront probablement faire l'objet d'une analyse à part. Leur nombre très limité ne nous paraît pas compromettre la justesse de notre proposition. De par les possibilités de transversalité qu'elle offre, la lecture que nous faisons de cette dizaine d'années de création artistique, est largement ouverte aux rapprochements et aux croisements. C'est aussi, nous semble-t-il, dans la perméabilité des catégories mises en place que réside sa pertinence.

 

Maurice Fréchuret - Conservateur en chef du patrimoine, Directeur du Capc, Commissaire général de l'exposition

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